Le vécu du chercheur

 

Il y a deux manières de concevoir la recherche : soit nous sommes parties prenantes de notre époque et engagés dans notre environnement, soit nous nous considérons comme des gardiens de phare isolés, loin des tourmentes de la politique sociétale. Des chercheurs tels que Lévi-Strauss ou de Saussure, préconisaient de se détacher des contingences de l'environnement immédiat afin d'accéder à une abstraction objective. D'autres auteurs tels Barthes ou Foucault ont, a contrario, souligné la nature discursive de notre action.

 

De fait, il nous semblerait factice de vouloir nous détacher de l'action réelle alors même que nous prétendons en chercher le sens. En formant aujourd’hui les chercheurs du XXIe siècle, nous devons les préparer à affronter la plus fondamentale des interrogations, celle de leur propre créativité. C'est par là même qu’ils pourront contribuer de manière distinctive à un champ disciplinaire extrêmement jeune et à leur société.

 

Le chercheur est l’homme et la femme de plusieurs systèmes. Le premier système qui lui est donné est celui de son époque et de son lieu de vie. Il ne sera pas enclin à poser les termes de la recherche de la même manière selon qu’il est chercheur du début du XXe siècle ou du début du XXIe siècle. De la même manière, faire de la recherche en Asie ou à Chicago, à Paris ou Rome a bien certainement une influence non négligeable sur la manière dont il aborde les problèmes de recherche. Dans cet environnement spatio-temporel général un autre système bien particulier sera celui du laboratoire de recherche, faculté ou Ecole dans laquelle se réalisera le travail : ses mentors et ses pairs, ses étudiants et ses commanditaires articulent de manière spécifique la recherche.

 

Son action prend place dans le schéma ci-desous (adapté de Gestion et pédagogie, Bergadaà. 1990).

 

 

1- Etre chercheur

 

En quoi ces futurs chercheurs du XXIe siècle se distingueront de leurs prédécesseurs ? Le chercheur, en général, n’a pas d’horaires, ni de temps alloué à ses différents rôles. Etre professeur est un métier ; être chercheur est un état permanent. Cet état permanent est commun aux chercheurs de toute discipline, de tout pays et de toute époque. Sans cesse tiraillé par sa curiosité naturelle, il ne peut s’empêcher d’évoluer. Il s’interroge, perd une partie de ses repères antérieurs et se trouve, pour un temps, perturbé. Puis, aspirant à retrouver un nouvel état de stabilité affective et intellectuelle, il s’élève au dessus de ses doutes, pour trouver un modèle de compréhension personnel et ce nouvel état lui donne l’impression d’avoir “ grandi ”, de mieux comprendre certaines choses, d’être devenu plus intelligent. S’il n’en était pas ainsi, quel intérêt y aurait-il à entreprendre le voyage de la recherche?

 

2- Réfléchir en chercheur

 

Afin de réfléchir plus rapidement, plus efficacement nous développons tout au long de notre vie des scripts cognitifs. Chaque chercheur de l’OVSM, chercheur confirmé ou doctorant, a une manière spécifique de réfléchir vis-à-vis de laquelle nous nous garderions bien d’intervenir. Procède-t-il de façon analogique à partir de ressemblances entre des sujets afin d'établir un lien et de faire naître de ce rapprochement une proposition nouvelle ? Si oui, c'est un raisonnement analogique. Procède-t-il de façon inductive, à partir  d'un cas précis puis d'une énumération de cas singuliers ou particuliers, pour en tirer les implications à un niveau général afin de tirer une conclusion universelle ? L’essentiel n’est pas la manière de procéder, mais la volonté du chercheur de ne jamais se contenter de réflexion superficielle.

 

3- Acquérir des connaissances

 

Le leitmotiv du chercheur, tout au long de sa vie, est d’assimiler de nouvelles connaissances, de contraindre au besoin son système cognitif à procéder par accommodation pour être en mesure de continuer à augmenter son stock de connaissance. Ce « stock de connaissances » accumulées au fil des années consiste en des informations plus ou moins complexes, organisées de manière rigoureuse, fruits d'un long processus de développement et de maturation tant au niveau individuel et culturel. C'est ce processus de maturation qui procure aux individus leur logique interne et donc une certaine autonomie face aux connaissances qu’il étreignent lors de travaux de recherche ou lors du démarrage d'un doctorat par exemple.

 

4- Ressentir la recherche

 

Nous n’avons rencontré que des chercheurs sensibles au cours de notre carrière… Et ce, même si certains considèrent que les émotions entravent la pureté de leur raisonnement. Mais, c'est bien au travers de nos émotions face à l'objet que nous observons et analysons que se manifeste la « conscience de nous ». Nous ressentons ainsi toute situation, décision ou action de manière intuitive et affective. Il nous faut apprendre à l’accepter, à vivre avec cette sensibilité, et à lui survivre dans les moments de doute (quand un objet de recherche nous résiste ou que des reviewers de journaux scientifiques  rejettent brutalement une de nos propositions…).

 

5-  Agir en chercheur

 

N’agit en chercheur que celui qui a un comportement éthique, puisque l'obligation morale est nécessaire à tout chercheur qui travaille au niveau de l'expérience et non pas au niveau de la raison pure. Le chercheur n'est certes pas appelé à prendre en charge tous les questionnements du monde, mais simplement à accomplir son devoir, à la place qui est la sienne, et à occuper tout l'espace moral de cette situation. Le questionnement sur l'éthique se situe aux trois niveaux que sont l'étique de la collectivité, l'éthique du groupe de travail ou de la communauté spécifique à laquelle appartient le chercheur, et son éthique individuelle face aux personnes qu'il rencontre sur le terrain, la manière dont il effectue ses travaux et le respect élémentaire qu'il leur doit.

 

© Bergadaà, 2004